Le Chanvre Japonais

Le Chanvre Japonais : entre armures, rituels et artisanat sacré
Longtemps pilier de la culture matérielle nippone, le chanvre (麻, asa) a occupé une place centrale dans la vie quotidienne, religieuse et guerrière du Japon traditionnel. Avant l’introduction du coton, il était la fibre textile par excellence dans tout l’archipel, utilisé pour confectionner vêtements, cordes, tissus de maison et objets rituels. Sa robustesse, sa légèreté et sa capacité à sécher rapidement en faisaient un matériau parfaitement adapté au climat humide et montagneux du Japon.
Mais le chanvre n’était pas qu’un simple textile : c’était aussi un symbole sacré. Il entrait dans la fabrication des shimenawa, ces épaisses cordes torsadées que l’on retrouve à l’entrée des temples shinto. Chargées de spiritualité, elles servaient à purifier les lieux, marquer la frontière entre le profane et le sacré, et repousser les esprits malveillants. Le chanvre, en tant que plante vigoureuse et pure, représentait alors un lien direct avec le monde spirituel.
Le chanvre, armure des guerriers
Moins connue, mais tout aussi fascinante, est l’utilisation du chanvre dans la fabrication des armures de samouraïs. À l’époque féodale, notamment durant la période Edo, le chanvre servait à renforcer les protections corporelles. Le casque (kabuto) comportait un doublage interne en chanvre recouvert de soie. Les protections des épaules, bras et cuisses étaient confectionnées à partir de chanvre combiné à du daim et de la soie, puis recouvertes de plaques de fer. Ces plaques étaient cousues avec du fil de chanvre, réputé pour sa résistance exceptionnelle. Pour les rendre imperméables, les fibres étaient traitées au jus de kaki fermenté (kakishibu), une technique naturelle et efficace, encore utilisée dans l’artisanat japonais aujourd’hui.
Ces matériaux n’étaient pas choisis au hasard : le chanvre offrait un équilibre idéal entre légèreté, souplesse et solidité — des qualités précieuses sur le champ de bataille. Il permettait aux samouraïs de se déplacer librement tout en restant protégés.
Le motif asanoha : un hommage graphique au chanvre
L’héritage symbolique du chanvre se manifeste aussi dans l’art textile à travers le motif asanoha, qui signifie littéralement « feuille de chanvre ». Ce motif géométrique en forme d’étoile hexagonale est omniprésent dans les kimonos, les tissus d’enfant et les objets décoratifs. Il représente la croissance rapide et la force, qualités prêtées à la plante et est censé porter chance et protection. Il était souvent utilisé sur les vêtements des nouveau-nés pour leur souhaiter une croissance saine et vigoureuse.
Une fibre oubliée… en voie de renaissance ?
Aujourd’hui, seuls quelques cultivateurs, souvent liés à des traditions religieuses ou artisanales, poursuivent la culture du chanvre, sous licences strictes. Malgré cela, un renouveau s’amorce. Des artisans redécouvrent les savoir-faire liés au tissage du chanvre (asa orimono), le chanvre japonais renaît peu à peu, à la croisée des traditions, du design et de la spiritualité.